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Un portrait délicat de la cité de l'Adriatique, carrefour séculaire des tumultes de l'histoire européenne.
L'écrivain britannique Jan Morris a découvert Trieste comme soldat en 1945, et cette ville n'a cessé depuis de la hanter. Maintes fois bousculée par les remous de l'histoire, Trieste incarne la précarité des frontières, la finitude des empires et s'est affirmée depuis des siècles comme un havre pour les exilés, célèbres ou anonymes. Évoquant l'histoire, l'art, la littérature ou l'architecture, Jan Morris esquisse dans ces pages un tableau élégant et teinté de mélancolie de la grande cité portuaire des Habsbourg, éprouvée par les années noires du fascisme et le glacis du rideau de fer. La Trieste d'aujourd'hui, cosmopolite et frémissante, à la fois latine, slave et germanique, reste une métaphore de l'histoire troublée de notre continent.
Plongez dans un tableau élégant et teinté de mélancolie de la grande cité portuaire des Habsbourg !
EXTRAIT
Il y eut un temps où j'avais coutume de dire que si j'étais juive, je serais certainement sioniste. J'avais servi en Palestine sous mandat britannique et j'avais alors pensé que c'était les Arabes, pas les Juifs, qui en bavaient ; mais voir la jeune armée israélienne déferler dans le Sinaï lors de la première de ses guerres m'emplit de sympathie romanesque pour le petit État. Plus tard, je changeai à nouveau d'avis et compris que les Juifs que j'admirais le plus étaient ceux de la diaspora qui n'avaient pas abandonné la fierté de leur origine et restaient étroitement liés par l'histoire et la culture, par un amour des mots, de la musique et du débat, mais qui étaient par essence des citoyens du monde, supranationaux, extraterritoriaux. C'est leur esprit, diffus mais rémanent, tel un gène de chromosome, qui me fait voir Trieste encore comme une ville juive. D'ailleurs, les Juifs restent encore dans les parages. L'essentiel de leur vieux ghetto, dans le quartier de la Piazza Unità, a fait les frais des transformations municipales, mais ce qui en reste, comme dans bien des anciens ghettos d'Europe, est devenu plutôt tendance. Les excellentes librairies, les antiquaires, les marchands d'art et les restaurateurs abondent et il y a un marché aux puces le dimanche. Via del Monte, la synagogue des migrants abrite un musée juif, dirigé par un rabbin de la grande synagogue et il y a une école juive à côté. Ici et là, cependant, des rues médiévales abandonnées subsistent, dans l'attente de la démolition, et leurs hautes maisons vides à volets clos, leurs lampes, chaînes, cadenas et chats errants rappellent des époques plus cruelles. L'autre jour encore, dans le même quartier du ghetto, j'ai vu trois musiciens ambulants en loques chassés par la police et, en les regardant fermer leurs étuis, fourrer leurs instruments sous le bras et partir d'un pas traînant vers le front de mer, je songeai qu'ils ressemblaient vraiment aux malheureux Juifs d'antan poussés comme du bétail dans les wagons.
A PROPOS DE L'AUTEUR
Née en 1926, Jan Morris est l'un des plus célèbres écrivains de voyage de langue anglaise. Elle est l'auteur de Pax Britannica, une histoire de l'empire britannique, et de délicats portraits de Venise, Trieste, Oxford, New York ou Hong Kong. Elle vécut et écrivit sous son nom James Morris jusqu'en 1972, année où elle a changé de sexe. -
Une tournée historique du sultan aux confins du grand désert d'Arabie.
En 1955, les vents du changement commençaient à souffler sur les montagnes et déserts du sultanat d'Oman. Les effluves troublants du pétrole promettaient de bouleverser cet État encore médiéval. Les rumeurs de révolte se mélaient aux intrigues de puissances étrangères. Pour le sultan, il était temps d'agir.
Appuyé par les Britanniques, à l'époque encore influents, le souverain entreprit une grande tournée jusqu'aux coins les plus reculés de son royaume afin d'y affirmer son autorité. L'expédition quitta un beau matin la ville côtière de Salala en direction de Mascate, la capitale du Nord. Le voyage était historique, jamais le sultan n'avait parcouru l'intérieur de son pays.
Ce fut probablement la dernière traversée « classique » du grand désert avant la révolution du pétrole - et la première en véhicule motorisé. Le sultan invita Jan Morris, alors journaliste au Times, à l'accompagner comme observateur.
Le récit de cette aventure royale, tout en finesse et non dénué d'humour, est une ode à un monde disparu.
EXTRAIT
Nous ne nous arrêtions pas pour manger, ni vérifier nos pneus, ni nous allonger à l'ombre de nos camions, comme font les soldats ou les camionneurs, mais à midi, le convoi faisait halte pour les prières. Alors toute la compagnie, sauf peut-être de rares domestiques profanes et impénitents, s'égaillait discrètement dans le désert, accomplissait d'abord ses ablutions puis ses dévotions : les Noirs dans leurs chandails bleus ; les Bédouins, qui déposaient leurs fusils à côté d'eux, dans leurs belles robes amples ; le cadi, avec un craquement audible de ses os ; le sultan, à présent vêtu d'une robe couleur fauve pour le voyage. C'était un spectacle émouvant, me disais-je, de les voir ponctuer le désert autour de nous, bleus, noirs, bruns et blancs, se prosterner au soleil avec les mouvements souples et gracieux que l'islam exige du fidèle ; quand le klaxon du sultan sonnait au loin, c'était drôle de les voir revenir en hâte et sauter dans les camions, dans une diversité si effrénée de costumes, souvent gênants, les cheiks de Yal Wahiba toujours bons derniers, qui allaient en trottinant, vifs et saccadés, comme de superbes gros oiseaux.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Née en 1926, Jan Morris est l'un des plus célèbres écrivains de voyage de langue anglaise. Elle est l'auteur de Pax Britannica, une histoire de l'empire britannique, et de délicats portraits de Venise, Trieste, Oxford, New York ou Hong Kong. Elle vécut et écrivit sous son nom James Morris jusqu'en 1972, année où elle a changé de sexe.