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Notre civilisation occidentale, européenne et américanophile s'est accaparé L'art de la guerre de Sun-Tzu : après tout, c'est symapthique, faire la guerre sans violence, utiliser la force de l'adversaire, fonder sa puissance sur l'équilibre du bien et du mal... Séduisant et charmant, on y croirait presque. Mais, s'arrêter là, c'est un peu comme se planter sur la place Tian'anmen, prendre une photo et revenir en sa terre avec l'orgueil du touriste ignorant qui a visité un pays comme si c'était le sien. Avec les mêmes yeux. Ce qu'il a compris, il l'a compris en comparant. Le saut dans le vide ce n'est pas pour lui.
D'où les récupérations de Sun Tzu. On l'applique à l'économie, l'entreprise, la politique. Euphorique d'avoir une fondation exotique et orientale à notre mode de pensée occidental, on peut ainsi justifier tout et son contraire : le licenciement professionnel en douceur, par exemple. Pauvre Sun Tzu, il doit se retourner dans sa tombe, déshonoré d'être enrôlé de force dans une guerre sale qu'il n'aurait certainement jamais menée.
Alors, la première des choses à faire : lire ou relire L'Art de la guerre sans glose ni commentaire, dans sa version la plus pure, brute de pensée commune, libre et libéré du politiquement correct. Et une fois confronté dans la solitude de cette lecture au texte original, c'est la révélation.
Ce livre est un mystère irréductible. Pourquoi? Car c'est un mélange de traité de stratégie, mais aussi de philosophie et de religion. Et on ne peut pas lire Sun Tzu sans le filtre du taoïsme, cette théo-philosophie millénaire que les Européens pensent assimiler à l'aide deux ou trois concepts vendus en kit pour athées-nihilistes en mal de sensations spirituelles. Ainsi, Sun Tzu procède de cette dernière, du non-agir, du quiétisme, de l'harmonie... Difficile à faire manger à la même table que le conseiller stratège du roi Helu qui avait besoin de gagner ses guerres et qui commandita l'ouvrage...
L'acceptation du mal, voilà le véritable enseignement de Sun Tzu : halte à une civilisation où la moraline a toujours maille à partir avec chacun de nos actes. Invitation à s'en affranchir. Martyriser tes ennemis? Pourquoi pas... à condition de ne plus en avoir besoin. C'est ainsi qu'il faut le formuler, afin de ne pas laisser ce doute traitre s'enraciner : L'Art de la guerre serait un traité de stratégie militaire "humaniste". En fait, pour Sun Tzu, l'ennemi ne m'importe pas en tant qu'être humain, mais en tant que futur esclave...
La présente édition reproduit l'édition de 1772, d'après une traduction de Marie-Jospeh Amiot, sous le titre Les Treize articles de Sun-Tse.
Ce livre, diffusé dans les écoles militaires depuis le XVIIIe siècle est plus libertaire que moralisateur. Il s'adresse donc en premier chef à notre jeunesse pleine de bonnes intentions, mais aussi apathique que croupissante. -
Avez-vous lu Les Fleurs du Mal? On se contente généralement de quelques poèmes appris par coeur, la main sur la poitrine : L'Albatros par exemple. Au mieux La Chevelure... Mais, on ignore bien souvent, sous ce vernis scolaire, la sombre immensité de ce recueil à jamais égalée. Trop dangereux. Encore et toujours. C'est vrai, après tout, Baudelaire n'a que faire de l'ordre moral, lui qui passait le plus clair de son temps dans les bras des courtisanes, à proposer une autre manière de vivre, à l'écart des normes et des livres de lois.
Contrairement à bien des rééditons des Fleurs du mal, cette réimpression digitale reproduit l'édition posthume de 1868, communément appelée la 3e édition. C'est elle qui a retenu notre attention. Car, en son temps, elle se donnait comme défense et illustration du génie baudelairien, orchestrées par les amis proches de Charles Baudelaire. Contre les censeurs. Contre les bien-pensants. Il s'agit donc, aussi, d'un hommage, en 2012, à l'aube de ce siècle de toutes les crises.
Dans le cadre de la collection « 3 raisons », le texte est préfacé par Nathalie Vincent-Munnia, Lecturer à Boston University, anciennement Maître de conférences en littérature française à Clermont III. Avec le regard de la spécialiste, Nathalie Vincent-Munnia nous donne trois bonnes raisons de lire Baudelaire par temps de tempête, le nôtre, celui des crises.
Les Fleurs du mal resteront à jamais le bréviaire poétique des révoltés et des insoumis, de ceux qui ne s'accommodent guère de l'ordre ambiant et des injonctions sociales.
A mettre entre toutes les mains, à commencer par celle des professeurs de Lettres. -
« Un nez !... Ah ! Messeigneurs, quel nez que ce nez-là !... », « Apprenez que je m'enorgueillis d'un pareil appendice, [...]. », « C'est un roc !... c'est un pic !... c'est un cap ! Que dis-je, c'est un cap ?... C'est une péninsule ! » Un roc face à l'amour caché, un pic de poésie et de brutalité mêlées, un cap à franchir pour être enfin percé à jour et une péninsule de bons procédés entre deux moitiés d'hommes condamnés...
D'un côté, Christian de Neuvillette, le gracieux sans cervelle. De l'autre, Cyrano de Bergerac, l'intellect obsolète. Qui ne connaît pas ce personnage là, ce mousquetaire gascon affublé d'un grand nez, amoureux de Roxanne mais dévoué au Cadet ? Nul ne peut l'ignorer car au-delà du mythe, c'est un nom qui perdure, un nom et un chapeau qu'il ne cesse d'ôter.
L'Amour avec un grand A serait-il alors, selon Rostand qui le met en scène en cinq actes, uniquement réservé aux beaux ? L'espoir de conquérir interdit aux oubliés de l'esthétisme facial et ratés de l'harmonie corporelle ? Retiré aux bafoués de l'existence et autres « bons amis » seulement à même de divertir par le rire ou d'inculquer par les mots, sans ne jamais avoir le droit d'aimer, sinon l'âme soeur, le coup de coeur...
Coup d'épée dans l'eau en effet car c'est bel et bien d'injustice dont traite ici Rostand ! Sous les traits fort charmants de Christian de Neuvillette, c'est en fait de l'esprit du cousin Cyrano - le poète au beau verbe mais laid et brute acerbe - que Roxane est éprise. L'amour impossible se jouant ainsi au coeur de ce triangle amoureux ne connaît pas de règle...
Divisée entre deux hommes et soustraite à sa propre conscience, la belle multiplie les excuses pour que meurt l'inhérente évidence. De la cape à l'épée en passant par le front, siège d'Arras où le nez protégera « l'aimé », c'est de lettres passionnées en baiser sur le front - le vrai cette fois - que la vérité éclate à l'heure du son du glas.
De reprises littéraires en adaptations cinématographiques (entre autres la version césarisée de Jean-Paul Rappeneau, sorti en 1990), le succès mondial du drame romantique de Rostand est immortel. Une écriture généreuse, une bonne dose d'infortune et un personnage hors-norme, tant par son nez démesuré que par ses multiples facettes effrontément exagérées.
Craignant pourtant que sa pièce soit un véritable fiasco, Rostand s'excusa auprès de l'acteur Coquelin le jour de la représentation générale pour l'avoir « entraîné dans une pareille aventure »... Pourtant Cyrano fut une triomphe sans précédent. Le ministre des finances lui-même vint offrir à l'auteur sa propre Légion d'honneur, factice certes, mais tout de même ! On peut dire que l'homme avait le nez creux tant son flair l'avait poussé à sentir l'effluve du succès... Rostand se vit en effet remettre la véritable Légion d'honneur dans les jours qui suivirent, le 1er janvier 1898.
Librement inspirée de Savinien Cyrano de Bergerac (1619-1655), Cyrano de Bergerac demeure de fait la plus célèbre pièce de théâtre d'Edmond Rostand. Dans le cadre de la collection « 3 raisons », c'est ainsi en dépassant le noir/blanc/rouge d'une « péninsule » découpée à l'obscur que vous embarquerez. Archétype humain digne du Roi Arthur ou de Don Quichotte (pour qui il retire son chapeau au seul son de son nom), Cyrano s'adresse donc à tous, sans exception, petits et grands, beaux et moins beaux, épris ou pas. -
Germinal, c'est une tragédie qu'on lit pour se rassurer. En effet, jamais un roman n'aura fait la plus parfaite démonstration qu'un écrivain, Zola, était capable de mobiliser l'opinion publique sur un sujet aussi brûlant en son temps : la condition ouvrière. Un roman, où le héros survit, mais qui finit mal, catharsis oblige. Et le lecteur de sentir monter en lui, contre toute attente, un espoir indistinct et vague. Comme de l'optimisme.
Car la geste d'Etienne Lantier, tient aussi de l'épopée, ce genre disparu ressuscité par l'auteur, en cette fin de XIXe siècle. Epopée au service du peuple, non d'un Empire ou d'un système, comme ce fut toujours le cas. Epopée naturaliste, où l'illusion de la cause ne l'emporte jamais sur le réalisme de la lutte. Epopée, qui rend plus fort - comme une douleur qu'on a fait sienne, que l'on s'est approprié et que l'on a vaincue.
Mais, Germinal, c'est aussi la naissance du roman à l'américaine : celui qui est le fruit d'une longue enquête, un Da Vinci Code marxisant, où l'auteur, à la manière d'un thésard ou d'un journaliste de haut vol, dissèque son sujet avant de se lancer dans l'écriture. On sait l'expédition zolienne dans la fosse Renard, dans le Nord de la France, pour préparer son oeuvre...
Et c'est aussi là peut-être l'intérêt de Germinal. Un roman sur le peuple écrit par un petit bourgeois, fils d'un ingénieur de travaux publics, fils d'un anti-Lantier, constructeur de barrages. Le roman tient alors de la prouesse, celle de nous donner à lire un traité de style, célinien avant l'heure, où la parole travaillée, ciselée par l'auteur a, en fait, le premier rôle.
La présente édition reproduit le texte de 1885.
Ce livre devrait devenir la bible de tout aspirant romancier. Car elle est celle des confirmés. -
Le Portrait de Dorian Gray, c'est une sorte de Dracula, mais sans hémoglobine. Un « roman d'horreur » que le chef d'oeuvre de Bram Stoker rejouera à sa manière, quelques sept ans plus tard, en 1897, comme finale d'une époque, celle de la reine Victoria. Si les auteurs se connaissent bien, tous deux irlandais, il faut souligner que la femme dont il est amoureux, Florence Malcombe, lui préférera Stoker... Voilà le genre d'hapax existentiel qui vous donne à écrire un roman.
Ainsi, pourrait-on comprendre que Wilde, blessé par cette déception amoureuse, se soit alors tourné vers une sorte de dandysme hédoniste, tout en solipsisme, dont Le Portrait de Dorian Gray se fait l'écho. Et ce n'est pas à Lord Henri que Wilde ressemble - il lui sert à exposer ses réflexions sur l'esthétisme - mais plutôt à Dorian lui-même, obsédé par sa propre personne, dévoré par sa beauté physique. A tel point que le réel s'en trouve bouleversé, que les lois de notre monde se transforment peu à peu, à l'insu de tous. Dorian est une beauté éternelle (comme Dracula) qui prend des vies pour survivre.
Et Wilde de se servir de ce monstre pour donner au lecteur de brillantes saillies d'observation sur l'être et l'apparence. L'impossibilité absolue pour Gray de se dissocier de Dorian, l'être en chair de l'être de peinture, réactive le débat antique où Platon et les Sophistes se livreront des guerres sans merci. Pour Wilde, comme pour Gorgias de Léontium, l'être n'est que l'apparence et réciproquement. La volonté de cacher ce que l'on est se trouve vaine et absurde, puisqu'elle finira toujours par éclater au grand jour.
Cette critique de l'idéalisme, assez conventionnelle, s'accompagne d'une distance prise avec l'hédonisme, si fashion aujourd'hui en France : la recherche du plaisir n'est pas une mince affaire et les abîmes qui le bornent, une véritable ruine. Reste à l'individu, pour se construire, à faire de sa vie une oeuvre d'art, sans démesure et prétention.
Cette traduction est celle de la version traditionnelle, quelque peu censurée, du Lippincott's Monthly Magazine en 1890 : Craig Lippincott, l'édtieur de Wilde, avait en effet supprimé toute allusion à la « décadence » des personnages... Kinoscript & Stvpress prépare une traduction inédite à partir de l'édition anglaise non-censurée, parue aux Presses Universitaires de Harvard en 2011.
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Bel-Ami, c'est un mélange savant entre une version « réaliste » de Don Juan, façon XIXe, à la française et d'un Rastignac fin de siècle, sincère dans son goût obstiné pour le mensonge opportun, nitzschéen dans sa volonté désirante que rien ni personne ne semble pouvoir arrêter. Rappelons l'intrigue : un pauvre petit sous-officier, Georges Duroy, se hisse au rend de magnat de la presse et de riche rentier au moyen de nombreuses ruses et manipulations dont les femmes sont le principal rouage.
Mais si l'être de papier, Duroy, que crée Maupassant semble se plier avec devoir à la maxime flaubertienne du « Mme Bovary, c'est moi », le divorce entre l'auteur et son héros est discrètement consommé dès les premières pages : avec une minutie de chirurgien Maupassant dissèque le comportement d'un salaud pour lequel il n'a que de l'antipathie. Et alors, l'arsenal de subversion entre en scène : le capitalisme, la bourgeoisie, les scandales politico-financiers de la fin du XIXe siècle, tout est patiemment démonté par Maupassant, qui propose au fil du roman, un véritable traité de la nature humaine. Et le tableau qui peu à peu se dessine sous les yeux du lecteur doit plus aux Vanités du XVIIe siècle qu'à Manet ou Courbet : l'homme est par nature enclin à faire le mal, car sa propre survie lui importe plus que tout.
La présente édition reprend l'édition de 1885 chez Victor Havard.
Ce livre s'adresse aux lecteurs qui pensent que la contestation est une affaire récente et politique. Maupassant fait la démonstration que la littérature a les moyens de subvertir l'ordre ambiant, sans violence ni révolution. Dans le silence de la lecture. -
On oublie bien souvent que le célèbre roman de Maupassant Une Vie a un sous-titre discret : L'Humble Vérité. A cela, rien d'étonnant, car cette amnésie littéraire en dit plus long sur les manières dont ce livre a été lu qu'aucune autre interprétation : on voudrait bien que Une Vie soit, finalement, un roman réaliste mais optimiste. Naturaliste mais idéaliste. Cru mais fantastique. Presque irréel... Or quelle est « L'Humble Vérité » ? C'est que l'histoire horrible de cette femme, Jeanne, belle et gentille, de bonne maison, mal mariée, mal aimée, trompée par son mari, déçue par sa soeur de lait, fatiguée par son fils malade, échauffée par un petit-fils à la mère courtisane, c'est malheureusement celle de beaucoup de femmes.
Une des premières raisons de re-lire Une Vie est qu'il s'agit du plus beau livre féministe écrit par l'un des plus grands romanciers machistes de notre histoire. Car la vie de Maupassant n'a pas été celle d'une suffragette : amateur de prostituées, il passe le plus clair de son temps à lire Le Monde comme volonté et représentation de Schopenhauer, dont certains chapitres, comme La Métaphysique de l'amour sexuel, laisseront des traces substantielles sur sa pensée.
Et c'est aussi pourquoi Une Vie n'est pas accessoire pour nos vies. La première nous oblige à penser les secondes, mais à la lueur du pessimissme schopenhaurien : « Toute inclination amoureuse, en effet, pour éthérées que soient ses allures, prend racine uniquement dans l'instinct sexuel, et n'est même qu'un instinct sexuel plus nettement déterminé, plus spécialisé et, rigoureusement parlant, plus individualisé.» écrira Schopenhauer.
Enfin, la dernière raison de re-lire Une Vie, c'est d'aller à la rencontre du grand oublié des critiques, le personnage M.de Fourville. Lui qui a la force nitzschéenne de tuer l'amant de sa femme. De lancer le couple adultérin dans le vide. Chute des amants diaboliques, Lucifers infidèles, monstres bourgeois.
La présente édition reprend l'édition originale parue en feuilleton dans Gils Blas en 1883.
Ce roman s'adresse à toutes les femmes à qui on a fait croire que la puissance était une affaire d'homme. Soyez des Anti-Jeanne, Mesdames : charge à vous de faire de vos vies des oeuvres d'art. -
Le Horla et autres nouvelles fait partie des incontournables de la littérature de collège. Tout bon professeur qui se respecte, sait, qu'en donnant à lire ce recueil, il conduira à la lecture bien de ses élèves. A cela, une raison : le style de Maupassant. Car qu'on n'aille pas prétendre que la jeunesse actuelle se fasse peur à la lecture du Horla. Le phrasé, les mots, le tempo musical rendent le texte « fantastique », et pour reprendre les mots de Louis-Ferdinand Céline, le lecteur est alors emporté dans la « rame émotive » menée par l'auteur.
Mais, il y a aussi une autre raison de lire Le Horla. Cette raison, c'est Freud. Oui, le père de la psychanalyse aurait certainement profité d'une lecture de Maupassant. Malheureusement, nulle trace d'une quelconque filiation. On ne peut qu'en faire l'hypothèse devant une parenté si frappante. Ainsi l'interrogation constante que mène Maupassant sur la question de l'identité et de la psychose eût-elle pu influer sur la théorie de la psychanalyse... De toutes les manières, Freud a tout fait pour donner à ses thèses un apprêt scientifique : alors une origine littéraire ne pouvait que faire tache.
La présente édition reprend l'édition originale de Ollendorff en 1887, dans laquelle figure la seconde version du Horla , sous forme de journal intime.
Ce livre s'adresse à ceux, qui, curieux de relire un classique, souhaite comprendre comment le phénomène fantastique est intimement mêlé à une réflexion sur le sujet et l'identité. -
Pendant longtemps, on fera d'Eugénie Grandet le chef-d'oeuvre de Balzac, à l'instar d'Emile Faguet, sous la Troisième République, pour qui, d'ailleurs, l'on pouvait résumer la Comédie humaine à ce roman-là en particulier. Pourquoi un tel enthousiasme, et, dans le même temps, un tel réductionnisme? Car, Balzac réussit dans ce roman de jeunesse mûre, il a alors trente-cinq ans, à jouer sur tous les tableaux, sans choquer, et sans renoncer pourtant à sa griffe incisive qui fait de ses scènes, des satires de la Restauration.
L'intérêt de l'oeuvre est que les coups portés par Balzac à la société des années 30 nous font toujours mal, presque deux cents ans après. La cupidité du père Grandet, fin en affaires, âpre au gain, schizophrène dans son rapport à l'argent, cachant la fortune qu'il vénère, c'est un peu chacun de nous, produits de cette même civilisation où l'argent est roi et le profit souverain.
L'innocence d'Eugénie, c'est celle de la jeunesse de notre siècle, incapable de mettre en doute le réel, avalant sans digérer des mètres cubes d'information via l'internet, susceptible de tomber amoureuse, comme elle, du premier cousin venu par Facebook interposé. In relationship with...
Charles Grandet, le cousin, c'est ce jeune homme à la mode qui promet le mariage à sa germaine - proie facile, et qui finit par oublier ses folies d'ado pour prendre un bon parti. Le genre col Mao en 68, Rotary Club en 2008. Le genre révolutionnaire du dimanche matin rue Mouffetard. Qui vous laisse dans la bouche une amertume franche et détestable.
L'humanité en prend donc pour son grade, et c'est cela que l'on aime sous la plume de Balzac. Ce réalisme sauvage dans sa violence. Ce talent d'enchanteur rusé, de compteur primesautier. Et la modernité d'un texte, qui, par bien des côtés, donne des dimensions chabroliennes à une fiction "comique", autant que peut l'être cette comédie humaine.
La présente édition reprend le texte de l'édition Charpentier, parue en 1839.
Avec ce livre, Blazac dévoile l'origine des bobos, ces bourgeois si bohème, détenteurs de fortune, mais amateurs d'infortunes.
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Avec Nana, on en a pour son argent. Cette P... si peu respecteuse des conventions a réussi à se faire une place à part dans la littérature. A l'instar des personnages du roman, les critiques littéraires sont paratagés entre l'attirance, la fascination et, d'un autre côté, le mépris, l'avanie : « On ne mange pas de ce pain-là nous! », ou « Ce n'est pas le meilleur roman de Zola... ». Eh bien, au risque de décevoir dans les chapelles littéraires, il faut bien reconnaître que Nana est l'un des meilleurs romans de Zola.
Tout d'abord, Nana est une sorte de « philosophe-voyou » avant l'heure. Elle a fait sienne le concept nietzschéen de volonté de puissance et celui des sophistes, le kairos, le moment opportun, si cher aux penseurs présocratiques. Nana, fille d'ouvrier, comdamnée à errer dans les bas de fonds de Paris. Condamnée par l'hérédité et la société à devenir l'éternelle répétition du même : un rebut insignifiant et inutile. Bien au contraire, Nana se fait un nom. A la sueur de son coprs. Avec ses tripes. Paralysant les hommes de son venin : le sexe. Et les jettant après utilisation.
C'est donc un grand livre de femmes. Réaliste dans son naturalisme : si les hommes ne cessent de vouloir réifier les femmes, c'est que les femmes - dont Nana est la paradigme - considèrent les hommes comme des objets. Car, ils ne sont que des objets. Objets à faire l'amour. A engendrer. A payer. A se croire être plus qu'ils ne le peuvent. Muffat, le politicien bien placé, en perd son latin et sa bourse. Dans le même temps.
Enfin, Nana ose avant tous ces fatras minoritaires, qui minent notre époque, mener une vie debout, sans honte ni remords : avec une femme, Satin - dont les scénaristes de Moulin Rouge se souviendront pour écrire le chef-d'oeuvre de Barz Luhrmann. Et ces amours étrangères au Second Empire sont la dernière grande claque que Zola assène sur la gueule d'une société sclérosée par le luxe et les divertissements.
La présente édition repoduit celle de la "Bibilothèque Charpentier", en 1880
Un seul détail, qui fait de ce roman une tragédie grecque : la mort de Nana...
Annonce : "Editeur cherche auteur tenté par la réécriture de la fin de Nana. Pour donner raison, une fois pour toutes, aux femmes."
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A l'époque où le XVIIe siècle se fait libertin, 1667, Racine décide de s'emparer de la matière troyenne (et d'Andromaque, la veuve d'Hector) pour mettre au point la plus vaudevillesque des tragédies classiques, où tout le monde aime quelqu'un d'autre et personne n'est aimé de qui que ce soit.
Mais au-delà des tragédies de la passion que Racine met si bien paroles et en actes, il y a le souci éminement moderne d'humaniser un théâtre qui ne laissait guère de place à l'homme, tel qu'en lui-même, avec sa chair et son sang. Qui n'en vaut aucun mais que aucun ne vaut.
A lire et à voir donc. A apprendre par coeur aussi. Pour ceux qui croient encore à la grandeur de l'alexandrin racinien, à son plus beau moment ici. -
Au Bonheur des Dames paraît la même année, 1883, que le célèbre roman de Maupssant, Une Vie. Deux monographies romanesques, écrites par des hommes, sur les femmes. Et singulièrement, là où le second sombre dans une sorte de pessismisme schopenhaurien, le premier propose un roman de l'optimisme : une histoire d'amour qui finit bien. Au prix de quelle ironie!
Et c'est là le génie de Zola, le happy ending. On sait le goût tragique des naturalistes. La vie finit mal. Alors, pourquoi les fictions devraient-elles mentir si elles imitent la nature? Mais ce qui est à l'oeuvre dans le Bonheur des Dames, c'est aussi une tragédie. Envers et contre tout. Malgré les apparences. Et cette tragédie, c'est cette fin heureuse. Denise, la pauvre provinciale, la petite vendeuse orpheline, montée à Paris, avec un enfant sur les bras, ne peut qu'épouser le riche directeur d'un Grand Magasin, séducteur de son état, aveugle à la misère humaine, amoureux de ce qui lui résiste et qu'il ne possède pas. Cet homme s'appelle Octave Mouret.
L'ironie zolienne frappe tout azimut et installe le paradigme social de la secrétaire mariée à son patron, de l'infirmière à son médecin, de l'hôtesse de l'air à son pilote. Bref, Zola démonte avec finesse les mécanismes sociaux qui unissent l'amour et le pouvoir, la domination et le sexe. Qu'on ne se fasse guère d'illusion, quand bien même tente-t-on d'y échapper, on y tombe la tête la première. Avec fracas.
Est-ce là la seule raison de relire Au Bonheur des Dames? Non. Il y a aussi dans le livre une force visionnaire et inquiétante. Zola, tout en faisant mine de décrire les changements sociaux de la fin du XIXe siécle - l'apparition des premiers Grands Magasins - fait le procès de ce qui mènera, un siècle plus tard, à la mondialisation. Au fusion/acquisition. Aux chaînes. On savoure alors amèrement la cinglante ironie du titre : le « bonheur des dames » fait le malheur des hommes, entendre, l'humanité. Dans ce roman, en effet, tous les personnages sont pris au piège de l'individu, du gain, du capitalisme, en un mot...
La présente édition reprend celle de la fameuse "Bibliothèque Charpentier", créée par Georges Charpentier, qui se définissait lui-même comme « l'éditeur des naturalistes ».
Ce livre séduira aussi le lecteur du XXIe siècle, car Au Bonheur des Dames, demeure une excellente "saison" de la série des Rougon-Macquart.
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Quiconque a lu le Dracula de Bram Stoker sait la richesse d'une oeuvre que sa postérité cinématographique a participé à simplifier, et dans le même temps, à forger. Expérience de lecture étrange et paradoxale : lire Dracula vierge de tout parasite mythologique relève de l'impossible. L'image semble vouloir se glisser inexorablement entre les mots, et préparer notre imagination, l'infléchir, la contaminer.
Ce que propose cette réédition, afin de parvenir à cette état idéal de lecture, c'est de substituer l'analyse philosophique à l'enchevêtrement des représentations cinématographiques. Le kit de lecture, comme kit de survie de l'oeuvre.
La première idée est que Bram Stoker en nous donnant à lire le duel entre le Comte Dracula et le professeur Van Helsing nous livre une réflexion sur le statut philosophique de la science à la fin du XIXe siècle. Et au moment où Nietzsche est en train d'expirer, Bram Stoker semble s'inspirer des textes du philosophe au marteau pour modeler sa thèse : la science n'a pas réponse à tout, elle s'affirme et s'affermit dans une spirale vicieuse où rien ni personne ne peut la contredire. Deus sive sciencia, Dieu ou la science, pour parodier Spinoza. Comme l'écrira Stoker au cours du roman : « La puissance du vampire tient à ce que personne ne croit à son existence ». Du coup, les personnages sont contraints de devenir des voyous, bravant les lois et les interdits afin de lutter contre le mal, que tout le monde nie, puisque la raison n'est plus de la partie.
D'autre part, Dracula est une très belle réflexion sur l'éthique en ce crépuscule victorien. En fait, le bien et le mal, à l'image des échanges de sang qui parcourent le roman (sang volé par le vampire ou prêté pour résister à lui), se baladent sans avoir de place attitrée. Mina, la fiancée de Harker, est attirée par le Comte, Van Helsing est fasciné, aussi. Il admire sa force, son intelligence, sa culture, quelque part, le fait qu'il soit un vestige du passé qui ne veut pas passer. Car Dracula, c'est l'immortalité de la féodalité, du temps des Seigneurs, où les valeurs ne se construisaient pas sur le travail et l'argent, mais sur le sang et la guerre. Dracula, l'anti-moderne. Moins violent que le syndicalisme, Dracula pourrait se lire comme un traité de résistance à la société industrielle que plus rien ne peut arrêter en 1897, lors de la parution du texte.
La présente édition est la reproduction de la première édition française en 1920 chez l'Edition Française Illustrée. -
On connaît bien le Maupassant pour collégien. Celui du Horla et des nouvelles fantastiques. Le Maupassant amusant et délassant. Qu'on lit pour fuir l'ennui. Mais, on ignore tout de l'autre Maupassant. Le schopenhauerien. Pessimiste. Sombre et mélancolique. Solitaire et flaubertien. Réaliste et perspectiviste. Qui pense que le vie ne vaut la peine d'être vécue et qui écrira dans La Solitude : « Notre grand tourment dans l'existence vient de ce que nous sommes éternellement seuls, et tous nos efforts, tous nos actes ne tendent qu'à fuir cette solitude ». Ce Maupassant là, c'est celui de Pierre et Jean.
Dans ce roman, Maupassant abat clairement ses cartes : « Bourgeois, je te hais. Et je te déclare la guerre ». Bien-sûr, une guerre d'idées et de mots. Mais une guerre quand même. Guerre à l'hypocrisie et au mensonge. Guerre au paraître et aux convenances. Guerre à la gentillesse civilisée d'une société, qui, pour se rassurer, ne cesse de produire des mythes auxquels elle finit par croire. Ainsi Pierre et Jean, tel un nouveau couple fratricide et biblique dévoilent-ils peu à peu les failles d'une famille, les Roland, métonymie d'une époque, dont le seul dieu semble être l'argent.
L'édition présente reproduit le texte original, publié initialement en feuilleton dans La Nouvelle Revue à la fin de l'année 1887 et au début de l'année 1888.
A l'issue de la lecture de Pierre et Jean, se livre une certitude : derrière le prétendu réalisme de Maupassant se cache un faiseur d'allégories, un fabricant de symboles, détenteur des arcanes de la misère humaine. Méfiance donc.
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Les éditeurs parisiens, et avec eux, les professeurs de Lettres, présentent généralement Candide comme l'oeuvre d'un écrivain des Lumières, d'un intellectuel engagé, contre l'intolérance religieuse, politique et guerrière. Contre le racisme, les coutumes absurdes et le conservatisme aristocratique. Bref, un modèle d'ironie et de sarcasmes bien placés. Le genre de type et de texte qui vous bouleverse une société à lui seul.
En fait, on peut lire Candide autrement. Sans arrière-pensées. Sans sérieux et suffisance. Pour le plaisir de lire un texte frappeur et draconien contre le genre humain.
Un conte philosophique qui multiplie l'humour farcesque, voire salasse : qu'on se rappelle du début programmatique. Candide est le bâtard d'une incartade amoureuse de la soeur du baron; quelques lignes plus tard, la jeune Cunégonde surprend le prof de philo, Pangloss, en train de livrer un assaut amoureux à une servante; et le chapitre se termine par un coup de pied dans les fesses de Candide, qui a tenté de reproduire ce que Cunégonde a vu des ardeurs "philosophiques" de Pangloss... Ajoutez à cela que Cunégonde semble vouloir battre des records en multipliant ses aventures sexuelles - de bon ou de mauvais grès - et vous vous ferez une idée véritable de Candide qui n'a rien d'un livre pour innocents.
C'est une parodie de ce genre littéraire bien en vogue au XVIIIe, le roman picaresque, où un pauvre erre devient le jouet du destin, qui fait de lui tout et son contraire, le hissant au sommet de la société pour le jeter tout en bas, gros jean comme devant. Il faut donc se méfier de lire dans Candide ce qu'on aimerait bien y voir. Voltaire se moque de tout et de tout le monde. Même le fameux chapitre 19, Le Nègre de Surinam, n'est pas aussi univoque qu'on le dit. L'auteur renvoie dos à dos la monstruosité des esclavagistes et la servitude volontaire des esclaves, stupide dans leur immobilisme. Bien-sûr Leibniz, Rousseau, Frédéric II, Emilie du Châtelet, la maîtresse de Voltaire, tout le monde en prend pour son grade.
La présente édition reprend le texte original paru en 1759 à Genève aux Editions Princeps
A relire de toute urgence pour avoir sur l'existence un regard toujours critique, mais jamais sérieux.
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On connaît mal les textes d'après Bovary. Comme si le roman qui fit tant de bruit par son procès éclipsait le reste de l'oeuvre. Salammbô fait partie du lot. Malheureusement. D'abord, parce qu'inclassable; tout bon professeur de Lettres s'y casse la tête; et voici un roman de Flaubert qui n'est pas réaliste. Mais historique. Et qui plus est une histoire que l'on ignore généralement : les guerres puniques (pas ou peu au programme d'histoire de l'Education Nationale), et particulièrement une époque singulière de ces conflits, la guerre qui opposa Carthage à ses mercenaires.
Mais c'est aussi un roman qui heurte le bon goût de l'intellectuel germano-pratin. Il y a plus de sang que la morale rationnelle l'exige. Un sang esthétisé par Flaubert, comble de la misère spirituelle pour tout lettré qui se respecte. La violence ne fait pas bon ménage avec la vraie littérature. Et bien Flaubert nous démontre le contraire. Au cinéma, il faudrait la caméra de Coppola pour rendre l'intensité flaubertienne. Celui d'Apocalypse Now et du Godfather. Une fresque baroque et nihiliste.
Résumé en une phrase, Salammbô, c'est l'histoire d'une princesse orientale, vierge et consacrée aux dieux, qui tombe amoureuse de l'ennemi de son père, de son pays, de sa patrie, qui le trahit et qui en meurt. Entre le premier et le dernier regard enchâssants le récit, il n'y a que d'incessants va-et-vient entre les deux camps et les deux corps, celui de Salammbô et de Mathô - le mercenaire au grand coeur.
Mathô, c'est aussi, paradoxalement et ironiquement, la figure romantique du révolté déchu. Qui pour trop aimer, est condamné à perdre, alors même qu'il lutte pour la Justice. En effet, Carthage refuse de payer ses soldats de fortune, qui lui ont été fidèles face à un ordre implacable, celui de Rome. Mathô, une sorte de pré-Spartacus. On ne peut prêter à Flaubert des intentions socialistes - il est pourtant dans l'époque - lui dont le pessimisme damne toute action politique. Cependant, il y a aussi quelque chose des frères Gracques chez ce héros flaubertien, symboles au XIXe siècle de la révolution intelligente, célèbres adversaires de l'injustice praticienne.
Bref, Flaubert dégouté de tout (du monde, littéraire et mondain) propose des figures alternatives. Aux veines gonflées de désir et de force. Antidotes à notre temps. Bien-sûr.
La présente édition reprend le texte de l'édition de 1883, de la Bibliothèque Charpentier.
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Le problème de la philosophie, c'est que bien souvent, elle ne parle pas d'amour. De l'Etat, oui. Des fondements de la philosophie du droit, aussi. De l'arbitraire du langage. De la liberté d'indifférence. De la conscience comme alter ego. Du surmoi. Du concept de temps. Des catégories de cause et de conséquence. Du génie artistique. De la matière et de l'esprit...
Le Banquet est l'un des premiers ouvrages de philosophie européenne qui parle du sentiment qui meut l'humanité dans son ensemble, qui crée les familles, les sociétés, l'art, la littérature, la musique, l'histoire, qui remplit les tribunaux... En somme, dans le Banquet, vous avez de vrais personnages (Socrate, Aristophane et leurs compères), qui viennent de faire un vrai festin (carnivore et végétarien), qui ont bu du vrai vin (résiné) et qui terminent en beauté, par une vraie discussion (philosophique) : le texte s'anime, alors, se fait théâtre et on entend soudainement parler de sexe, de rupture, de séduction, de quête amoureuse, de positions, de joie, de chagrin d'amour, de jalousie, comment ne pas perdre trop de plumes en amour...
Bref, si vous avez un jour eu envie d'en parler et que vous n'avez pas osé, faites-le avec Platon.
Tout cela dans la prose fine et précise de Victor Cousin. -
Et dire que Nietzsche est devenu, en l'espace d'un siècle, le philosophe pour intellectuels à bonne conscience. Ceux qui rêvent d'un Nietzsche qui ne serait pas Nietzsche. Ceux qui veulent à tout prix le politiser, de droite comme de gauche. Ceux qui crient au génie, quand ils dédaignent pompeusement les penseurs de leur temps, « qui ne seront jamais à la hauteur ». L'ironie, c'est que ces amoureux des modes intellos et germano-pratines n'auraient pas publié Nietzsche. Lui qui s'est bien souvent fait auto-imprimer... Comme ce fut le cas d'Ainsi parlait Zarathoustra. Que le philosophe au marteau paya en partie de ses propres deniers.
Il faut, néanmoins, leur trouver de bonnes excuses. Excuses qui sont d'excellentes raisons de lire le Zarathoustra. La première est que le texte est déroutant. Ce n'est pas un roman, avec une histoire. Ni un poème, avec des vers. Ni une épopée, avec des guerres. Ni des aphorismes, avec des numéros... C'est irréductible à quoi que ce soit. C'est de l'art. Et de la philosophie en même temps. Allez chercher un sens rationnel, du prêt-à-penser, facile à lire car classable, dans cette grande bible dont le personnage principal est une sorte de prête perse.
La deuxième excuse, donc, est que la signification, tout comme la forme, échappe au lecteur. D'ailleurs, Nietzsche avait prevenu dans son sous-titre : Un livre pour tous et pour personne. Un livre « ouvert » à tous les vents. A toutes les interprétations. Ainsi le bestiaire qu'on trouve dans l'oeuvre est-il un hymne à la force ou alors un éloge de la douceur. C'est selon.
Et c'est vrai, la véritable élégance de Zarathoustra est de se poser dans l'entre-deux. Il est celui qui doit réparer son erreur, celle d'avoir un jour divisé le monde en bien et mal. Le retour du prophète, c'est la fin de la morale. Pour cela, il descend de sa montagne enseigner le Surhomme. Et soudain, les contraires ne s'opposent plus, mais ne s'unissent pas non plus. Le monde est un oxymore. Le philosophe, un poète. La tâche du Zarathoustra, nous le faire accepter.
La présente édition reprend celle du Mercure de France, en 1903, d'après une mise en français de Henri Albert, le grand traducteur de Nietzsche à la fin du XIXe siècle.
Ce livre s'adresse à ceux qui aiment l'ésotérisme bien vécu, comme l'endroit d'un envers exotérique, à savoir le Nietzsche grand public. Le verso que l'on ne fait que vous montrer de loin. Une certitude : la lecture de ce livre ne vous laissera pas indemne. -
Mais, ô bon Dieu ! que peut être cela ? comment dirons-nous que cela s'appelle ? quel malheur est celui-là ? quel vice, ou plutôt quel malheureux vice ? Voir un nombre infini de personnes non pas obéir, mais servir ; non pas être gouvernées, mais tyrannisées ; n'ayant ni biens ni parents, femmes ni enfants, ni leur vie même qui soit à eux ! souffrir les pilleries, les paillardises, les cruautés, non pas d'une armée, non pas d'un camp barbare contre lequel il faudrait défendre son sang et sa vie devant, mais d'un seul ; non pas d'un Hercule ni d'un Samson, mais d'un seul hommeau, et le plus souvent le plus lâche et femelin de la nation ; non pas accoutumé à la poudre des batailles, mais encore à grand peine au sable des tournois ; non pas qui puisse par force commander aux hommes, mais tout empêché de servir vilement à la moindre femmelette! Appellerons-nous cela lâcheté ?
Etienne de La Boétie -
Ce que Platon a réussi à faire oublier, ce sont ceux-là même qui lui faisait de l'ombre, au Ve siècle sur l'Agora : les Sophistes. Gorgias, mort à 108 ans, fut l'un des plus célèbres d'entre eux, une véritable star intellectuelle, un mélange de Michel Onfray et de Brad Pitt. Au profit d'un Socrate dont il sculpte la statue à loisir, sans contrainte - Socrate, le vrai, est mort. Au profit de sa philosophie, de l'idéalisme, du dualisme.
Donc, un dialogue à lire entre les lignes. En sachant que, lorsque Socrate parle, c'est Platon qui pense et quand Gorgias et Calliclès s'expriment, leurs pensées est présentée fidèlement, mais toujours décontextualisées.
Ce livre fut le livre de chevet de Nietzsche. Et pour cause. Son concept de volonté de puissance en provient directement.
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La Peau de chagrin fait partie de ces livres que l'on devrait porter avec soi en toute heure. Car à eux seuls, ils comblent nos deux grandes aspiration littéraires : divertir et donner à penser. Amuser et cogiter. Enchanter la raison qui rumine alors les raisons de son ivresse.
Le canevas balzacien ne fait guère dans l'originalité : un jeune homme au bord du suicide fait un pacte avec le diable. Et pourtant, ce lieu commun accède, sous la plume de Balzac, à une dimension universelle, lorsqu'il oblige chaque lecteur à s'identifier avec Raphael, le héros. Se prendre pour Faust relevait du grand écart littéraire : les apparitions de Méphistophélès se multipliaient, les invraisemblances également et pour courroner l'ensemble, Faust rencontrait l'empereur et se mariait avec Hélène de Troie...
Dans La Peau de chagrin, par une sorte de gravitation, nous sommes attirés dans les arcanes du réalisme, au sein même d'une intrigue fantastique à souhait. Contrairement à Faust, Raphael parle notre langue, se pose nos problèmes - le bonheur, la richesse, le désir, séduire - en des termes humains - rien ne distingue la fameuse peau d'une fortune qu'on hériterait puis, dilapiderait. Ce mélange entre réalisme cruel et romantisme noir permet à l'auteur de jeter le lecteur dans un abîme angoissant où le vraisemblable le dispute au frisson de terreur.
Mais ce que nous lance à la figure ce jeune roman de Balzac, c'est la question philosophique du désir, que décortique avec fureur le penseur Schopenhauer, à la même époque, dans son livre-monument Le Monde comme volonté et comme représentation. Et cette interrogation n'a jamais été aussi réaliste qu'en ce début de XXIe siècle, où notre désir constitue la clé de voûte de nos sociétés de consommation. Où même les plus contestaires d'entre nous se retrouvent cloués au pilori de leur propres anathèmes : le Che Guevara finit ses jours sur des t-shirts...
Comme si Balzac avait prévu les faiblesses de notre modernité. Vous pensiez avoir mis un terme à l'Histoire par l'avènement des sociétés démocratiques, de la citoyenneté globale, de la mondialisation des droits de l'homme?! Détrompez-vous, le pire est à venir. Croyant porter un coup fatal aux vices de l'humanité, nous avons travaillé sourdement à leur dilatation. Comme si chacun de nos désirs venait grossir les rangs de notre corruption. Une peau de chagrin... en expansion.
La présente édition reprend celle d'Edmond Werdet, en 1834, dans Les Etudes philosophiques.
Ce livre s'adresse à tous ceux qui croient au progrès et à la modernité. Ecoutez la leçon de Balzac. Au propre comme au figuré.
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Le Prince est une véritable aberration philosophico-littéraire. D'abord parce que ce n'est pas de la philosophie, à proprement parler. Celle qu'aiment les fabricants de concepts, les universitaires de haut vol ou les intellectuels à chemise blanche. En effet Machiavel rédige un « portrait de prince », genre littéraire de la Renaissance, où l'auteur adressait un certain nombre de conseils à un Prince dans un horizon verteux : le bien, l'honnête, le juste, la tempérance... autant de valeurs idéales auxquelles l'impétrant roi se devait de faire allégeance.
Mais, à cette époque, ce n'est pas parce que c'est « littéraire » que c'est de la littérature au sens où nous l'entendons. Jadis, le mot désignait toute production écrite - litterae - en latin. Soyons clairs : au XXIe siècle ce livre se verrait évincé des grands éditeurs, rejeté par les distributeurs et méprisé des libraires. Sans parler des lecteurs, pour qui la dimension pratique de l'ouvrage serait un motif suffisant de dédain. Qui plus est à un roi. Imaginez un recueil de conseils retords et tordus, adressé à Chirac, Sarkozy, ou Hollande, les invitant à la cruauté, la malice, la force et le volonté de puissance...
La dernière aberration, c'est que Machiavel semble, d'après la tradition, l'homme d'un seul livre. Le Prince... de Machiavel. Machiavel ou l'auteur du Prince. La périphrase semble quasi-homérique, une épithète de nature... et pourtant Machiavel est un polygraphe de talent. Poésies, théâtre, récits de voyage, réflexions sur l'histoire, histoires florentines, art de la guerre, rapport de diplomatie, critique littéraire. Rien ne semble lui avoir échappé. Cette réédition est une invite à découvrir Machiavel et son oeuvre et non Machiavel et son Prince.
Enfin, ce qui donne une ultime valeur à cet inclassable traité, c'est qu'il réactive toute une philosophie qui ne sera jamais à la mode : celle des sophistes, celle des adversaires de Platon, celle des « prostitués du savoir », comme les nommera avec tendresse Xénophon. On peut comprendre les réactions vives : Il n'y a rien à sauver chez Machiavel. Tout n'est que feinte, ruse, manigance, combines, assassinats, complots ourdis ou déjoués. Force, violence, cruauté, intelligence... occasion et fortune, chance et hasard. Le monde de Callicès, la loi du plus fort.
Des générations de philosophes ont voulu la slavation du penseur. Rousseau y vit un précurseur républicain, presque démocrate. On lui emboîta la pas. La mal était fait. L'humble vérité, la jouissive révélation, est que Machiavel est irrécupérable. Pour cette raison là, il est urgent de le lire.
Ce texte reprend l'édition du traducteur Jean-Vincent Périès en 1825.
Avis aux lecteurs à la bonne conscience : ne pas lire ce livre.
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Telle est l'ironie de la littérature : Stendhal qui voulait écrire pour ses « happy few » se retrouve bien malgré lui le symbole d'une culture classique et rebattue, lui que tout lycéen de bonne naissance se doit d'avoir lu. Et pourtant quelle subversion ne se cache-t-il pas dans ses romans - notamment Le Rouge et le Noir! Un fils du peuple, Julien Sorel, que le destin vouait aux champs, se fait anoblir et mettre à mort. Entre-temps : adultère, mensonges, ambition, infidélité, tentative d'assassinat... De quoi donner à penser sur la société de la Restauration...
En fait, si les bâtisseurs de programmes de l'Education Nationale y prêtaient attention, ils interdiraient aux enfants la lecture du Rouge et le Noir. Trop dangereux pour une nation. Explication.
D'abord, la dénonciation brutale des nantis. Que ce soit le maire de Verrières, M. de Rênal, ou le ministre du Roi, le Marquis de la Mole, l'image des puissants croquée par Stendhal n'est guère séduisante : faibles, naïfs ou bien arrogants et calculateurs, ils font très fin de race. Impuissants à tout acte de force, contrairement à Julien, qui, lui, est emporté dans un tourbillon de passions et de violences, d'intelligence et de volonté. En somme des valeurs aristocratiques. Bref, le monde à l'envers. Mais le monde tel qu'il est. Pour le collégien, c'est lui enseigner à mépriser son professeur...
Le Rouge et le Noir, c'est également, l'athéisme à l'état pur. Nietzsche ne s'y trompera pas, lorsqu'il dira dans Ecce Homo : « Peut-être suis-je même jaloux de Stendhal. Il m'a volé le meilleur mot que mon athéisme eût pu trouver
« La seule excuse de Dieu c'est de ne pas exister.» » En effet, Julien se sert au sens propre de l'Eglise pour arriver. Son idole est Napoléon et non le Christ, symbole d'une philosophie de l'agonie, du pardon, de l'égalité. Sorel lui ne rêve que d'empire. Sur soi, les autres, le monde. En un sens, il est un peu à sa manière une esquisse du Surhomme que pensera le philosophe quelques décennies après. Encore une fois, rien de très séant à notre jeunesse.
Enfin, et c'est là le génie de Stendhal, Le Rouge et le Noir renvoie dos à dos l'héritage révolutionnaire et le marasme monarchique. La Révolution qui ne peut mener qu'à un monde fait d'illusions, où l'humain prend son désir pour de la réalité, jusqu'à la folie. La Monarchie qui a perdu tout désir d'être, et qui n'est plus que dans le paraître des salons mondains.
En ce début de XXIe siècle, les individus se cherchent toujours, incapables, comme Julien Sorel, de devenir ce qu'ils sont. Si l'Ecole ne l'enseigne pas, laissons Stendhal nous l'apprendre.
La présente édition est la reproduction de celle de novembre 1830 chez les éditions Levasseur.
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A l'heure où le "dictionnaire amoureux" est devenu la norme, à l'heure où les empêcheurs de tourner en rond, les objecteurs de conscience et les prêtres de la pensée du Bien font la loi, Flaubert fait figure de médecin, son Dictionnaire des idées reçues, d'antidote.
Antidote à la bêtise humaine. Grand adversaire de Flaubert, c'est l'un des premiers écrivains de la langue française à conceptualiser la connerie, en tant que telle, comme ennemi numéro 1 de la pensée rationnelle. Chaque aphorisme porte un coup à cet édifice solide et néfaste.
Antidote aux modes. L'idée est simple. Faire son chemin dans les aventures des Lettres. Ne pas suivre. Et refuser d'être suivi. Flaubert propose un ouvrage à la charnière de tous les genres : maximes philosophiques, peintures ultra-réalistes de la société, photographies aiguisées du XIXe siècle, satires, mais aussi poèmes, lorsque la prose flaubertienne se fait octosyllabe, au grès de ses attaques.
Antidote à la littérature de salon. Celle qui a cours encore aujourd'hui dans le petit monde parisien qui continue à faire la loi dans l'édition, de ce qui se lit ou non, des bienséances sociales...
Le grand regret, c'est que l'ouvrage resta inachevé. Les 1000 définitions appellent une continuation. Charge à toi, lecteur, de poursuivre l'oeuvre commencée il 162 ans.
Le texte reprend l'édition posthume de 1913 chez le bien nommé Louis Conard.