La Gibecière à Mots
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Marc Monnier (1829-1885)
Marc Monnier, écrivain suisse, de père français et de mère suisse, a débuté ses études à Naples. Plus tard, il écrivit de nombreux ouvrages sur l'histoire de l'Italie et de Naples.
Dans "La camorra", publié par Michel Lévy frères en 1863, il décrit cette mafia napolitaine : la camorra dont la finalité est le mal et qui, de nos jours encore, gouverne chaque instant de la vie napolitaine. -
Pierre Loti (1850-1923)
"Février 1917.
Dans ces dessins d'enfantine cosmographie qui, au temps des premiers Pharaons, se faisaient à Memphis, le ciel était figuré par une voûte sphérique à laquelle des fils suspendaient les étoiles, et, sous les différents pays de la terre, naïvement tracés en couleurs, une partie ombrée en noir, qui descendait jusqu'au bas de la feuille de papyrus, s'appelait : base du monde. Au fond de leurs esprits dégagés plus fraîchement que les nôtres de la matière originelle, ne se demandaient-ils pas déjà, ces hommes aux intuitions merveilleuses, ne se demandaient-ils pas ce qu'il pouvait bien y avoir plus haut, plus haut, au-dessus de la voûte bleue où les étoiles s'accrochaient ? L'infini, l'inconcevable infini dont nos âmes sont maintenant obsédées, est-ce qu'ils commençaient d'en pressentir l'épouvante ?
Et, pour eux, sur quelle autre chose, plus stable encore, cette base du monde posait-elle ? Est-ce qu'il leur venait à l'idée de se demander : En dessous, encore plus en dessous, que trouverait-on bien ? Alors, toujours, toujours, des couches plus profondes, se soutenant les unes les autres ? Et ainsi de suite indéfiniment ? Ou bien, qui sait... du vide ? Mais alors, comment ces bases tiendraient-elles, car le vide, c'est du néant où tout tombe ?..."
Recueil de chroniques paru en 1917. -
Camille Lemonnier (1844-1913)
"- Va pour cinquante francs, dit l'aubergiste en marchant du côté de l'écurie.
Depuis deux jours, les chevaux n'avaient pas reposé trois heures en tout, et de ses cinq bidets il ne restait au licol qu'un petit roussin à courtes jambes et un vieux grison ardennais, poilu comme une vache.
On tira de l'écurie le roussin et le grison et on les mit à une pesante carcasse, montée sur quatre roues qui faisaient en roulant un bruit de vaisselles entrechoquées.
Puis le fouet pétarda : nous descendîmes, au trot des chevaux, les fers claquant, la grande rue de Neufchâteau qui débouche dans les champs.
Nous allions à Bouillon.
Au premier tournant de la route, près d'une grosse ferme où des soldats jouaient au bouchon, une sentinelle croisa le fusil et cria :
- Qui vive ?
C'étaient les postes belges. Ils étaient échelonnés de distance en distance, quatre hommes et un caporal, et se repliaient, à mesure qu'on les relevait, sur leurs campements, dans les villages et dans les champs.
On répondait :
- Belgique."
1870. Le narrateur voyage dans les Ardennes en guerre. Ce n'est que ruines et cadavres. Une vision de la stupidité des conflits armés dans lesquels ce sont toujours les mêmes innocents qui subissent : le peuple... Aujourd'hui, rien n'a changé...
Suivi de "Le mort" : Un cadavre bien gênant... -
Renaud de Châtillon, prince d'Antioche, seigneur de la terre d'Outre Jourdain
Gustave Schlumberger
- La Gibecière à Mots
- 5 Novembre 2016
- 9782374630953
Gustave Schlumberger (1844-1929)
Renaud de Châtillon... un nom indissociable de l'histoire des "Francs" en Terre Sainte. Un nom qui colle à la chute du royaume de Jérusalem. Bref, c'est le méchant ! Pourtant de Renaud de Châtillon, nous ne savons pas grand chose : qu'a-t'il fait pendant ses trente premières années... et pendant les quinze années où il fut prisonnier à Alep ?
L'historien Gustave Schlumberger publie en 1898 cette biographie du prince d'Antioche. A l'aide des chroniques aussi bien franques, byzantines qu'arabes, il tente de retracer la vie de ce guerrier, ennemi juré de Saladin, en le replaçant dans son époque.
Schlumberger conclut son introduction ainsi : "Il y a trop de lacunes dans cette vie. Mais je me suis attaché à rapporter scrupuleusement et exactement tout ce que je savais." -
Anatole France (1844-1924)
"Je n'ai pas besoin de retracer ici la vie de M. l'abbé Jérôme Coignard, professeur d'éloquence au collège de Beauvais, bibliothécaire de M. de Séez, Sagiensis episcopi bibliothecarius solertissimus, comme le porte son épitaphe, plus tard secrétaire au charnier Saint-Innocent, puis enfin conservateur de cette Astaracienne, la reine des bibliothèques, dont la perte est à jamais déplorable. Il périt assassiné, sur la route de Lyon, par un juif cabbaliste du nom de Mosaïde (Judæa manu nefandissima), laissant plusieurs ouvrages interrompus et le souvenir de beaux entretiens familiers. Toutes les circonstances de son existence singulière et de sa fin tragique ont été rapportées par son disciple, Jacques Ménétrier, surnommé Tournebroche parce qu'il était fils d'un rôtisseur de la rue Saint-Jacques. Ce Tournebroche professait pour celui qu'il avait l'habitude de nommer son bon maître une admiration vive et tendre. « C'est, disait-il, le plus gentil esprit qui ait jamais fleuri sur la terre. » Il rédigea avec modestie et fidélité les mémoires de M. l'abbé Coignard, qui revit dans cet ouvrage comme Socrate dans les Mémorables de Xénophon.
Attentif, exact et bienveillant, il fit un portrait plein de vie et tout empreint d'une amoureuse fidélité. C'est un ouvrage qui fait songer à ces portraits d'Érasme, peints par Holbein, qu'on voit au Louvre, au musée de Bâle et à Hampton-Court, et dont on ne se lasse point de goûter la finesse. Bref, il nous laissa un chef-d'oeuvre.
On sera surpris, sans doute, qu'il n'ait pas pris soin de le faire imprimer. Pourtant il pouvait l'éditer lui-même, étant devenu libraire, rue Saint-Jacques, à l'Image Sainte-Catherine, où il succéda à M. Blaizot."
L'abbé Jérôme Coignard est un érudit épicurien et plein de sagesse dont Anatole France nous a conté les aventures dans "La rôtisserie de la reine Pédauque". Son élève Jacques Tournebroche, fils d'un rôtisseur et libraire, a recueilli ses enseignements sur différents sujets tels que la justice, l'armée, la politique... -
Jacques Bainville (1879-1936)
Sainte-Beuve remarque dans ses Lundis que les trois mots qui caractérisent les principales époques de la Révolution ont été prononcés par Sieyès, homme sentencieux. Au mouvement de 1789, il avait donné sa formule : « Qu'est-ce que le Tiers-État ? Rien. Que doit-il être ? Tout. » De la Terreur, Sieyès disait simplement : « J'ai vécu. » À la fin du Directoire, il murmurait : « Je cherche une épée. »
La Révolution en était là en 1799. Elle avait besoin d'une épée, d'un militaire et d'un coup d'État. Il faut donc se défaire tout de suite de l'idée que le 18 brumaire ait été, dans son principe, un attentat réactionnaire. On ne comprend bien cette « journée » fameuse, qui continue tant de « journées » révolutionnaires, qu'à la condition de savoir qu'elle a été provoquée dans l'intérêt de la Révolution, pour raffermir la Révolution et en poursuivre le cours, par des hommes qui tenaient au nouvel ordre de choses comme à leur propre bien.
Il y avait déjà longtemps que les affaires allaient mal. Les inquiétudes des dirigeants n'étaient pas nouvelles. Et la principale de ces inquiétudes, c'était que la France, lasse du désordre, de la détresse financière et surtout de la guerre sans fin, ne retournât à la monarchie.
À cette époque, la réaction était le parti de la paix. La Révolution voulait et devait continuer la guerre. Deux ans plus tôt, les élections ayant donné une majorité de modérés et de royalistes, il avait déjà fallu appeler un soldat. Augereau et les grenadiers avaient chassé les Conseils par le coup d'État de fructidor. Et Augereau avait été désigné et prêté pour cette opération par le général en chef de l'armée d'Italie, qui, en vendémiaire, s'était signalé à l'attention des républicains en réprimant à Paris une insurrection royaliste.
Le 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799) : le coup d'état qui mit fin au Directoire et à la Révolution.